La Grande-Borne aux beaux jours
Lorsque je suis arrivé en Essonne en 1972, l’urbanisation battait son plein. Le Petit Bourg d’Evry regardait pousser la Ville Nouvelle. Les Ulis, les Tarterêts, et tant d’autres lieux … le Département était un vaste chantier, et se peuplait au rythme du démontage des grues. On arrivait de partout. De loin, travailleurs immigrés avec ou sans famille, ayant fui la misère de leur pays d’origine, qui construisaient nos logements et peuplaient les bidonvilles. Migrants de l’intérieur, provinciaux chassés par l’exode rural et « montés à Paris » pour gagner leur vie. Parisiens et banlieusards de la petite couronne, repoussés - déjà - par le prix du logement et sa rareté. Fils de migrants de l’intérieur, je faisais partie de cette dernière catégorie, comme les premiers habitants de la Grande-Borne venus du XIIIème arrondissement de Paris. Je me suis beaucoup promené dans cette urbanisation galopante avec un regard d’habitant, de citoyen actif et de photographe. Où aurais-je envie de vivre ? La plupart des photos que j’ai faites au cours des années 70 sont restées dans des bacs à diapositives ou des classeurs de négatifs. Jusqu’au moment où elles ont pris valeur de témoignage sur une époque, bien lointaine aujourd’hui, une époque où l’on a « tant rêvé grands ensembles – « ensemble est un si joli mot » - pour emprunter à une chanson d’Henri Gougaud. Il en va ainsi des photographies de la Grande Borne qui composent cette série. Elles ont été prises pour la plupart en mai 1973 (quelques-unes datent de mai 1972) au cours de promenades aussi urbaines que dominicales. Je les ai exhumées un soir où je me suis demandé si je pourrais encore les faire aujourd’hui sans courir le risque de la violence. En les revoyant, plus de trente ans après, j’ai été frappé par une autre violence, celle du contraste entre ce qu’elles montrent et les images actuelles de la télévision et des journaux. Je me suis rendu compte qu’elles témoignent de ce que « la GB » a été belle et qu’elle a un temps ressemblé à ce que son auteur, Emile Aillaud, avait voulu qu’elle soit : une cité qui respecte la dignité de ses habitants, une cité conçue pour que les enfants puissent grandir de façon autonome. Des photographies qui - comme le dit Mohamed dans un commentaire posté sur mon site - rappellent « une époque pas si lointaine où nous n´étions ni blacks, ni beurs, ni blancs mais tout simplement des enfants, des grignois ».